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 Ugh !

Il neige ! Et oui, en plein mois de Juin à Moscou, après la canicule de Mai, il neige pratiquement sans discontinuer. Sans nul doute à cause du "non" français au TCE, on nous avais bien promis un chaos sans commune mesure ! Ou alors serait-ce ces arbres, présents un peu partout à Moscou, qui disséminent leur progéniture au vent - graines nimbées d'un vaporeux nuage de coton hydrophile qui ne pense qu'à venir se coller sur votre cornée, vous aveuglant ainsi ? On est gâté ici, après les chutes de stalagtites de Mars, lorsque les jours de plus en plus ensoleillés permirent à la neige sur les toits de fondre le jour et de geler la nuit en de magnifiques orgues de glace ne pensant qu'à tomber, dès les premiers rayons tièdes du matin, sur le pauvre Gentil Prolétaire allant innocemment fabriquer des ladas ou des hyperplans sturmiens ! Ahh ! Monde cruel !



Neige de Juin sur les Krushchëvski
Sans trucage à l'éventrage d'oreiller !

Neige mise à part, le début de l'été est des plus sympathique à Kuzminki (le coin où j'habite - rappel). Ancien petit village dans l'orbite de Moscou, le lieu a subi une radicale transformation dans le cadre des constructions massives de logements (années 60 surtout ici) pour tenter de diminuer le nombre de bras au m3 dans les maisons du centre. Résultat : des milliers de barres identiques, les fameuses Krushchëvski, hautes de 5 étages et d'environ 60 appartements. De la construction certes "économique" (plafonds bas - une des blagues préférées des moscovites - murs en plaques de béton aux jointures bien visibles etc.) mais, avantage indéniable sur la rue, chauffage et eau chaude (à part la fameuse coupure d'été bien sûr) ! Et puis de toutes façons, c'était du provisoire, fait dans l'urgence en attendant la livraison de fiers bâtiments soviétiques (style les barres d'habitation de Staline, dans le même genre mais beaucoup plus classes, en briques et bonne hauteur sous plafond). Mais il est de notoriété politique euh...publique, pardon, que les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Et les Krushchëvski tiennent toujours, 45 ans plus tard. Entretemps, comme les barres ont été intelligemment construites bien espacées, avec tout pleins de jeux pour enfants soviétiques et de verdure (j'ai l'air ironique, mais en vrai je suis super jaloux qu'on n'ait chez nous que des ersatz de parcs à gosses, avec une balançoire pour 10000 mouflets et 10000 rectums de chiens pour un m2 d'herbe), ça donne un cadre de vie très sympathique : on oublie presque être dans une ville dodécamillionaire, assis sur un banc de bois coloré, une bière à la main, des gosses qui jouent devant, de paisibles chiens errants qui se chauffent le poil au soleil en oubliant l'hiver à venir, quelques caissons métalliques à voiture posés de-ci de-là, des fils à linge surchargés de soutifs taille Mère-Denis qui pendent un peu partout entre les multiples arbres qui donnent plus l'impressions d'être dans une forêt que dans un quartier résidentiel somme toute assez densément peuplé. Le paradis quoi !



5 étages, des bancs, des arbres...
et des jeux pour enfants entre ça.

Mais je crains fort que ses habitants n'en soient chassés, non pas pour une bête histoire de pomme, mais par une basse logique d'immobilier lucratif. En effet, la crise du logement est toujours là, et l'essor d'une classe moyenne moscovite autorise les profits les plus fous pour les Bouyguov et autre bétonneurs locaux. Or les habitants actuels ne sont pas de bons locataires comme vous ou Mr Gaymard, mais pour la plupart d'affreux petits propriétaires ayant privatisé gratis en 90 le logement que leur attribuait (sans loyer) l'état. Bien souvent atrophiés du chromosome 15% (en forme de cravate comme chacun sait) qui leur donnerait le goût et l'envie de rentabiliser tous ces espaces verts non compétitifs, il faut bien les "aider" ! Donc on détruit les kruchëvski (par cercles concentriques vers l'extérieur) et on rebâtit - sans cette fois faire l'erreur de laisser tant d'espaces verts - de magnifiques tours de 17 étages comme on a su si bien faire chez nous.Et entre le nombre de logements supplémentaires et les anciens habitants souvent relogés plus loin du centre (augmentation des prix oblige, bien que je ne sache pas précisément comment se fait l'indemnisation) on loge des gens un peu plus fortunés. Sioux, non ? En même temps, tant que Moscou capte toute la richesse du pays, faut bien loger les nouveaux arrivants. Ca va être beau dans 15 ans...




Hop on "démonte"...
 et on remonte en LEGO.
 C'est beau non ?

Devant ce spectacle j'ai donc sauté sur l'occasion de fuir la capitale, invité pour une semaine chez ses parents à Sotchi par une charmante Russe, Masha, rencontrée au mois d'octobre via un sympathique voisin français du 9ème étage de la MGU qui avait habité dans son obshche zhite (cité U) quatre ans auparavant (c'est pourtant simple !). Bref, Sotchi : la côte d'Azur russe, coincée entre le Pont-Euxin et le Caucase, sur un fin bandeau de 200km de long courant du Don à la Géorgie (révision de géographie). Une petite différence néanmoins : si le train Paris Marseille met 3h, le Moscou Sotchi en met 40, effet d'échelle (et de TGV) oblige. Donc départ le 16 Juin en "platskartnij" à 18h pour arriver presque frais et dispos le surlendemain à 10h. Le "platskartnij" c'est le wagon-dortoir local, confort intermédiaire entre le "obshchie vagon" - les sièges inclinables SNCF - et le coupé - les compartiments lits SNCF en plus confortable. Là il y a des couchettes, mais pas de séparation complète en compartiments, du coup c'est assez sympa, les gosses courent dans le couloir, les gens copinent plus ou moins loin de leur place et mangent, ronflent ou sentent des pieds à plus ou moins grande distance. Bien sûr il n'y a ni douches ni climatisation, donc évidemment s'il fait chaud faut pas faire son difficile. Par contre il y a des chiottes-lavabo, un coin fumeur (pas officiel mais isolé), un distributeur d'eau bouillante (pour le thé, les soupes lyophilisées et autres) et deux provodnitsi, femmes qui font tout le voyage (très rarement des hommes, plus dur à exploiter, ici aussi, pour un mode de vie si contraignant), qui nettoient périodiquement le wagon, te filent matelas et couvertures et font rentrer les gens à chaque départ de station. Ah oui, parce que à chaque arrêt (toutes les 5-6 heures à peu près), tout le monde descend sur le quai se dégourdir les jambes, respirer un peu d'air frais et faire ses emplettes (le rituel du repas occupe beaucoup d'importance puisqu'il n'y a pas tant de choses que ça à faire dans le train). auprès des innombrables grands-mères qui attendent déjà de pied ferme, postées à la porte de chaque wagon, les roubles apportés pas tous ces voyageurs. Le moment que chacun attend dès que le train est reparti ! Enfin bon cette fois c'est que 40h, un petit échauffement pour cet été...




Couloir d'un "platskartnij"
Joli billet de train
Eau bouillante en permanence

10h : Sochi, avant-dernière station avant Adler, juste à la frontière avec la Géorgie. Déjà 3h que je suis réveillé et que le paysage est parfaitement stable : à droite du train, à moins de 5m des voies, la mer Noire (qui est bleue ce jour là, comme le ciel), à gauche, un mur de végétation escarpé. Périodiquement, une rivière coupe le mur de gauche, passe sous un pont tandis que le train préfère dessus, et apporte à la mer un mince filet d'eau. Le long de la rivière s'accrochent, noyées dans le vert, quelques maisons (un peu décaties il faut reconnaître). Plutôt pas mal donc, sauf une impression un peu désagréable d'être vraiment coincé entre mer et montagne. Heureusement deux ou trois grandes plaines ponctuent ce corridor, et comme par magie, c'est justemment là qu'on choisi de s'installer les gens : ports, zones industrielles et villes. Dont Sotchi.

Sotchi, c'est la ville balnéaire par excellence. Hivers très doux (il neige autant qu'à Marseille), été chauds, mer à 25° en Juillet, et même montagnes neigeuses à l'arrière (le Caucase c'est pas de la petite montagne, et d'ailleurs l'Elbrouz est le plus haut sommet d'Europe). Il flotte pas mal par contre (orages violents - attention au maquillage), d'où la végatation assez luxuriante déjà mentionnée. Climat subtropical ça s'appelle. D'acoord il y a "sub", mais "tropical" aussi, et en Russie svp. Ca permet de renouveler le stock de clichés sur le pays : troquez votre image de Russe barbu en chapka à poils de chiens faisant la queue sous la neige pour acheter sa vodka pour un magnifique Lénine en mosaïque (rouge, comme il va de soi) dardant son regard fier et volontaire devant un public - acquis - de palmiers, de bananiers et de montreurs de perroquets ou singes. Peut-il  encore distinguer, un peu à l'écart du centre ville, les silhouettes familières de la kyrielle de sanatoriums soviétiques ? Construits à l'époque chacun pour un corps de métier différent - sanatorium des métallurgistes, sanatorium des mineurs etc. - ils permettaient théoriquement au prolétaire méritant de prendre des vacances mérités dans de magnifiques bâtisses agrémentées comme il se doit de sculptures d'ouvriers modèles. Les CE locaux quoi. Sauf que maintenant ne s'y pressent plus les assembleurs de Lada ou de sous-marins atomiques mais les riches Moscovites en villégiature loin des turpitudes de l'agitée capitale (dont Poutine par exemple).

Premier jour, grand soleil, visite obligée à la plage. Ah monde cruel, le bord de mer est aussi infâme que les rives du golfe du Lion, encombré de chaises en plastique, de vendeurs de matelas gonflants et d'odeurs de cacahuètes chaudes confites (ou un truc du genre). Et sur la plage, ici aussi, il fait chaud, les gens sont luisants de graisse de phoque anti-UV et bronzent (mais - subtile différence - ils font souvent ça debout et non classiquement allongés sur une serviette mickey), la mer est pleine de sel et le sable rentre partout. Ah non, y'a que des galets. Bin ils font mal aux pieds. Mais peut-être ne suis-je pas très objectif et transparaît derrière cette description mon adoration quelque peu limitée pour le concept de "plage". En tout cas l'eau est bonne, et propre le premier jour. Par la suite, des pluies torrentielles ayant eu l'indélicatesse de charrier quantité de boue (pas forcément seulement "terreuse" dans une grande ville aux égouts pas très très protégés...), j'ai eu comme une vague intuition d'une possible explication rationelle à l'épithète "noire" de cette mer (alors que Pont-Euxin c'était chouette !). Heureusement la  boue s'est diluée petit à petit au cours de la semaine, de telle sorte qu'on pouvait à nouveau profiter des joies du bain, avec de nouveaux amis puisque cet épisode orageux a bien remué la mer et a amené une quantité impressionante de méduses près du rivage. Totalement inoffensives, mais fâcheuse impression de nager dans une purée morve/sac-en-plastique :)




Les rives de la mer Noire
Le Caucase
Lénine aux tropiques

A part les joies du toastage à l'huile entassés sur les galets, séjour très agréable. Les Parents de Masha, elle même et sa collègue Tania - venue elle aussi de Moscou se détendre et apprendre les bonnes manières françaises (ou "comment boire une bière en bonne compagnie") - sont très sympathiques, et de plus d'une patience exemplaire face à quelqu'un qui ne parle pas très bien russe. A défaut d'aller vraiment dans le Caucase (le cours de l'otage français en Abkhazie restant encore un peu élevé), quelques petites mini-incursions dans l'arrière pays : gorges et chutes d'eau dans les premiers contreforts, semi-campagne pleine de datcha dans les coins pas trop escarpés. Dont la Datcha familiale des Borovikov (mes hôtes), à une vingtaine de minutes de la ville en voiture. Une petite maison toute simple, une pièce avec un lit et un coin lavabo, et un petit verger magnifique, avec raisin, pêches, fraises, cerises, framboises etc. complétant leur potager de ville (cornichons, tomates, aneth...). Idéal pour un dimanche peinard à griller les shashlik (brochettes de viande), siroter une bière accompagnée d'ail cru et de poisson séché et salé (le fameux vobla), avec une petite pensée émue pour tous les cravatés d'ici (ou d'ailleurs) trimant sans doute encore au bureau pour s'offrir une dacha frime avec piscine et jaccuzzi (dont ils n'auront pas le temps de jouir, c'est vraiment trop injuste).




Poisson séché-salé et ail cru, hmm...
Shashlik à la datcha
Entre la mer Noire et le Caucase

25 Juillet, retour à Moscou. En avion cette fois ci, pour essayer les jolis tupolev Sochi/Moscou de la compagnie Air Sibir', exactement le vol où a eu lieu le dernier attenat attribué à des Tchétchènes...mais en fait de Tchétchènes, c'est plutôt un bête douanier Russe qui m'a causé des tracas, puisque je ne n'avais pas  fait enregistré sur mon passeport ma présence plus de trois jours ouvrables à Sochi. Bilan : réprimande, lecture du code juridique qui stipule une amende officielle de 1500 roubles dans un tel cas, et proposition "amiable" du douanier : laisser simplement un billet de 500 sur sa table, sans chipoter sur quelques paperasseries qui rendraient un peu officielle l'amende et ne feraient qu'embêter et moi (plus cher) et lui (dépossédé en faveur de l'état). Le "beurre dans les haricots" quoi ! Rien de bien neuf sous le soleil.


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