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 Privet !

Après un mois d'Avril passé en France, pendant le dégel russe, retour via Hamburg und Berlin (en covoiturage, Allemagne oblige). Calculateur infâme, je me suis arrangé pour arriver pile le 30 Avril, c'est-à-dire le dernier jour de Velikij Post, le grand carême (50 jours de chou !) qui se termine par la nuit de Pâques, la plus importante fête religieuse orthodoxe. Comme de plus j'ai été aimablement invité à découvrir ça chez les Asmus, ma famille nombreuse orthodoxe préférée, ma curiosité est particulièrement grande. Par contre j'en suis désolé mais je n'ai pas d'image à vous offrir, j'ai beaucoup de mal à prendre en photo des gens dans des occasions comme ça, j'aurais l'impression d'être comme un visiteur dans un zoo. Mais bon, l'aphorisme "une photo vaut mille mots" exprime bien une équivalence : blablatons pour compenser ! Pâques orthodoxe donc, c'est des gens affamés par 50 jours de carême qui fêtent le retour de Jésus. On attend minuit, et on va à l'église du père Asmus (juste à côté de chez eux, un bâtiment pas mal esquinté, mais la réparation du clocher à commencé - prélude à une rénovation en bonne et due forme ?). Après je vais avoir du mal à vous raconter tout par le menu, car déjà en Russe ça poserait pas mal de problèmes, mais là en Slavon je déclare forfait...mais comme la liturgie orthodoxe a l'air hyper-codifiée, je pense que vous pourrez trouver la bande-son fidèle de l'événement (ou tout au moins les sous-titres). Je vous narre juste la chorégraphie : chacun prend son cierge (son âme donc), l'allume devant les portes closes de l'église (où restent parfois enfermés des touristes mécréants ignorant le modus operandi des festivités), écoute religieusement la liturgie du maître de cérémonie (placé devant les portes, dos à l'église), puis tout le monde fait le tour de l'église derrière lui en se cramant les mains avaec la cire fondue qui coule de la bougie (qu'il ne faut pas laisser s'éteindre sinon tu as perdu). Après on a le droit de rentrer dans la maison de Dieu, et d'écouter - ça dure environ deux-trois heures - la lecture sainte. J'aime bien les orgues chez les catholiques finalement...Enfin bon, à la fin on a quand même droit à du vin à la fin (pas beaucoup et il faut faire la queue).

Intéressant à suivre, mais ce n'est pas pour améliorer nos relations intimes, moi et Dieu. Disons, pour faire court, que j'ai définitivement du mal avec le dogmatisme qui - même plus ou moins fort - semble inhérent aux religions. Comment être sûr de l'immortalité d'une âme ou d'une volonté divine dirigeant notre monde ? Alors que l'on descend de trucs poilus qui n'enterraient même pas leurs morts et que certains prennent maintenant des vacances sur la Lune, deux choses qui semblaient assez peu réalistes il y a quelques siècles. Il faut avouer que douter et accepter des limites à notre entendement du monde est assez inconfortable intellectuellement. Peut-être ceci explique qu'entre dogmatiques et agnostiques prolifèrent aussi nos autruches matérialistes ? Hé, j'en sais rien moi...

Quoiqu'il en soit, on reste tous à peu près humains et bien heureux de se retrouver autour d'une table à 4h du matin en sortant de l'église, assis autour toutes sortes de plats dont le carême pour certains, la méconnaissance de la culture russe pour d'autres, ont renforcé au plus haut point l'attrait: charcuteries, vin rouge, kulich (l'espèce de panettone local), pasxa (gâteau pyramidal un peu indigeste à base de fromage sucré - tvorog - et de crême fraiche), salades diverses (dont la "Olivier", alias "russe" chez nous) et pastis (importé par mes soins). Tout cela sous les regards bienveillants (bien qu'un peu en chien de fusil entre eux) de Lénine, Jésus, Staline, la Vierge, Marx, quelques apôtres et Castro, tous ayant droit de cité sur les murs de mes hôtes.

Après la fête religieuse, la fête militaire. En effet, le 9 Mai est le "Den' Pobedy", le "Jour de la Victoire" en Russie, i.e. de la victoire contre le nazisme hitlérien. Etant en vikande touristique à Saint Petersbourg ce jour là avec deux amis venus de France, c'est là bas que nous avons assisté à l'événement, annoncé bien à l'avance par énormément d'affiches un peu partout. Aujourd'hui les vétérans bardés de médailles sont à l'honneur - consolation des maigres pensions le reste du temps ? Espérons au moins qu'ils aient peu d'échos de la perception qu'on peut avoir en France de cette défaite Nazi : Staline ayant été classé dans le camp des "méchants rouges", on a vite fait d'introniser des Américains en sauveurs, arrivés qu'ils sont vers la fin, après que l'Axe leur ait déclaré la guerre d'où s'en suivirent pas mal de bombardements bien sanglants dont il n'est pas sûr qu'ils n'aient au contraire favorisé l'union des Allemands derrière le Charlot-pas-rigolo et accéléré l'extermination des juifs, tziganes, slaves ou autres "déviants" déportés. Quelque peu injuste pour les  quelques 11 millions de victimes russes, sans parler des quelques 20 millions de blessés dont il n'est rien moins sûr qu'ils aient survécus longtemps. Enfin bon, Hollywood a produit plus de film sur le soldat Ryan, ou nous sur Jean Moulin, que sur le siège de Saint Petersbourg ou la défaite nazi à Stalingrad (les films russes nous rendent la pareille bien sûr), et certains présidents lettons semblent même quelque peu négationistes dans l'âme. Dur dur  le manicheïsme pour des Stalines : impossible de dissocier le goulag ou les purges de l'industrialisation ou l'alphabétisation de masse (notamment dans les autres pays du bloc soviétiques, rien à voir avec la politique de la France dans ses colonies...)




La place du Palais le 9 Mai
"Joyeuse fête, chers vétérans !"
Le Défilé sur la Nevski Prospekt

Retour à Moscou ensuite. Après la pluie, le vent et les 4° du début Mai petersbourgeois (mais la mer n'était plus gelée quand même), la canicule à Moscou. Plus de 30° en Mai, c'est ça de s'acheter un climat continental ! Heureusement la ville a pensé à tout puisque, histoire de nous rafraîchir sans doute, l'eau chaude a été coupée chez moi du 11 au 28 Mai. 12° à la sortie du robinet, ça fait frisquet pendant 17 jours...Mais rien que de très normal, tous les quartiers y passent, chacun à leur tour, pour semble-t-il vidanger et nettoyer les canalisations à la fin de l'hiver. Etonnant non ?

En tous les cas, c'est bien agréable de découvrir Moscou sans neige, de pouvoir enfin se balader longtemps sans crainte de finir amputé de deux pieds gelés. La vraie saison des bières commence ! Même si j'ai vu pas mal de Russes la bière à la main (nue) par -10°, il y en a beaucoup plus maintenant. Et comme les bouteilles sont consignées pour une somme ridicule, les gens les laissent bien en évidence partout afin qu'elles soient ramassées par plus pauvres qu'eux. Et puis c'est aussi la saison des gens complétement torchés qui traînent un peu partout dans la ville qui commence. Par exemple en bas de chez moi, dans une ruelle sous un arbre, il y a une sympathique petit table et ses bancs installés, où chaque jour quelques locaux (assez âgés) préparent leur vodka maison (de l'alcool à 90° non modifié en petites bouteilles bleues et de l'eau) et discutent jusqu'à tomber par terre - du coup j'en vois régulièrement un ou deux allongés à même le sol, dès le matin quand je pars au labo parfois...Pourtant le gouvernement semble vouloir lutter contre ça. Après l'échec de la prohibition Kruchëvkienne (et ses jarres de vin maison fermées par un gant en latex - appelées "bonjour Kruchëv"), Lujkov a interdit la consommation de vodka sur la voie publique (je l'ai appris presqu'à mes dépends), et même de bière depuis Mai paraît-il, bien que les policiers eux-mêmes contredisent ce dernier point. Enfin y'a encore du boulot...faut avouer que les pubs genre "mnogo vina, malo uma" (cf ci-dessous) ne sont pas génialissimes.




La saison des bières commence...
"beaucoup de vin,
peu de cervelle"
Il fait chaud.

Cela dit, la fin de l'hiver ne réjouit pas que les amateurs de bière mais aussi les amateurs de sang (éventuellement "sang à la bière" certes), j'ai nommé les moustiques. Et oui, le paradis des moustiques sur Terre c'est bien la Russie : des milliers de kilomètres carrées tout plats avec plein de mares, flaques, étangs et autres stagnations aqueuses propices à l'épanouissement de milliards de charmantes larves. "Heureusement" le centre-ville est habilement protégé par des gaz d'échappement parfumés aux métaux lourds, donc on survit (aux moustiques), mais la moindre sortie dans les grands parcs de Moscou ou en dehors de la ville se transforme en chasse aux moustiques. Gros, gras  et bien nourris comme ils sont, on les écrase sans problème (à moins qu'ils ne subissent par contrecoup l'alcoolisme de leurs proies ?), mais leur supériorité numérique ne laisse guerre d'espoir quant à l'issue de ce combat douteux. On finit donc par s'habituer, profitant alors de l'ambiance populaire sympathque : accordéon improvisé devant le métro avec les passants qui dansent, grand-mères qui chantent dans le parc...




Trophé de chasse
La Sainte Vodka
Soirée dansante au métro Izmajlovskaja

Le 25 Mai, je me préparais déjà psychologiquement à avoir à nouveau l'eau chaude d'ici trois jours, quand, cette fois, plus du tout d'eau ! Une histoire d'incendie d'une centrale quelque part dans Moscou. Impossible de savoir grand chose sur le moment, à part qu'il ne s'agit pas d'une centrale nucléaire, ce qui est déjà plutôt rassurant (j'étais déjà prêt à avaler mon tube de teinture d'iode). Par contre plus d'eau, plus d'electricité, plus de téléphone, plus d'internet, des gens bloqués dans les ascenseurs et les métros...du coup je l'avoue, j'ai lâchement décidé de fuir à Vologda (cf Moskva II) en attendant que les coupables soient châtiées. En l'occurence il semble s'agir de Tchubaijs, l'ex docile exécutant des doctrines ultra-libérales catastrophiques de Jeffrey Sachs et du FMI (la fameuse "thérapie de choc" des années 90, effectivement un certain choc pour la population, par contre le côté thérapie reste à démontrer 15 ans après...). Encore en oligarque à la Khodorkovski, mais celui-ci fait partie des amis de Poutine on dirait. Deux poids deux mesures pour les pilleurs !

Sur ce, poka, j'ai besoin de mes deux mains pour écraser les moustiques (qui sont encore plus nombreux à Vologda, sales bêtes !)


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